Pages

lundi 2 décembre 2013

La magie de Noel

Dès le lendemain d'Halloween, c'est à dire au matin du 1er novembre, Noël a commencé à Vancouver. 

Depuis un mois, les musiques de Noël envahissent nos oreilles et on boit notre café dans des gobelets en cartons décorés pour l’occasion. Alors vous pensez bien que le 1er décembre fut un jour à célébrer en grandes pompes ! Le père Noel lui-même s’est déplacé pour faire son auto promo dans les rues du centre-ville, qui a été complètement bloqué 6 heures durant pour l’occasion.
Ça tombe bien, tiens ! C’était exactement les 6 heures durant lesquelles je devais traverser la ville en bus pour aller travailler dans un centre commercial du nord le matin, puis revenir au sud dans l’après-midi pour mon shift au resto.

Mais revenons un peu en arrière. Ce matin-la, on était le 1er décembre, j’étais toute seule a l’appart et je n’avais même pas de petit chocolat du calendrier de l’avent pour me réconforter, parce que j’avais tellement travaillé ces derniers jours que je n’avais pas eu le temps de savoir qu’on était fin novembre. 

Je m’étais réveillée avec quelque chose de très désagréable à l'arrière de mes yeux, une tension qui picote, je crois que ça s'appelle l'envie de pleurer. J'ai raté deux fois mon bus à cause de la parade de ce putain de Père Noël sur Georgia Street, ce qui fait que j’étais en retard au boulot et ça a été un bon prétexte pour fondre en larmes. 

En vrai, je pleurais parce que j'avais le sentiment d'être loin pour la toute première fois. Ma mère, mes sœurs et ma cousine passaient le week-end ensemble à Paris. Ma meilleure amie israélienne fêtait son arrivée en France avec mes amis à moi. Mes anciens colocs se retrouvaient à Lyon entre deux escapades au bout du monde. Et moi je regardais tout ça sur l’écran de mon iPhone, me sentant complètement seule dans cette mascarade commerciale sans aucun sens qu’est Noel dans une grande ville qui n'est même pas la mienne.

En fin de journée, les heures et les heures de déviations, de bouchons et de changement de bus pour rejoindre mon deuxième travail ont eu raison de ma santé mentale. Ratatinée de fatigue, j'ai sauté hors du premier bus pour acheter une boite de 10 Donuts à Tim Hortons, que j'ai mangé dans leur intégralité pour éponger mes larmes de rage et étouffer mes injures a l'encontre de ces troupeaux de familles heureuses qui gambadaient dans les rues. 

Dans le deuxième bus, j’ai fait la rencontre d'un bellâtre de Toronto complètement défoncé. Mais alors que je m’empiffrais en râlant sous ses encouragements bienveillants ("That's goooood, buddy. That’s Canadian Food!"), un nouvel événement vint s'ajouter a tous les événement nuls de cette journée pourrie. Car a cet instant précis eu lieu le premier meurtre de 2013 à Vancouver. Alors que tout le monde était sous pression a cause de la parade du Père Noel qui nous a foutu un bordel pas possible, un homme s‘est fait tirer dessus, flinguant au passage mon idéal canadien d'êtres humains trop sympa pour être touchés par le vice. 

Et ralentissant encore plus la circulation à cause des contrôles de police.

Vue d'ensemble de la maison au travail

Zoom sur la parade du centre-ville
En bleu : itinéraire habituel (20 minutes)
En rose : itinéraire qui a conduit a ma perte (2h20)
NB: la prochaine fois, descendre du bus et marcher

Menfin, contrairement à la malheureuse victime, je suis arrivée à temps chez moi pour sauter dans mes vêtements du soir et courir jusqu’au restaurant. Ce qui en soit, est une source de réjouissance (je suis en vie, et pas lui). On trouve du réconfort ou l’on peut, n’est-ce pas ?

J'ouvre ici une parenthèse pour parler de mes 3 uniques oripeaux, portés jour après jour dans un seul et même mouvement monotone quotidien : le matin, je passe de mon lit à mon uniforme de chercheuse de sponsors au centre commercial - l'après-midi, je passe du bus à mon uniforme d'hôtesse d'accueil au resto - la nuit, je passe du restaurant à mon pyjama de fille qui s’écrappoutie dans son lit. Et puis je recommence comme ça jusqu'à mon unique jour de congé, ou je dois laver ces vêtements pour la semaine qui reprend.

3 styles, 1 pantalon
J'ai un peu la sensation de vivre une seule et longue journée de 6 jours, voyez.

Bref, une fois n’est pas coutume, parlons un peu de la réalité de Vancouver, en dehors de son époustouflante beauté qui me rappelle à chaque minute pourquoi je suis là.

Dans "Mange-Prie-Aime", Liz et ses amis italiens s’amusent à trouver le mot qui défini le mieux leur ville. New York serait le mot « réussir ». Rome serait « sexe ». Et bien Vancouver en un mot, sans hesiter, ce serait "travailler ».

Si la plus grande ville de l’ouest canadien est classée comme l’une des meilleures villes ou habiter sur cette planète, c’est aussi l’une des villes les plus chères au monde. Un peu comme Grenoble, les terres constructibles sont limitées par la ceinture de montagnes qui l'entoure, lui donnant tout son cachet mais la rendant de plus en plus inaccessible.

Alors bien sûr, il y a des gens qui travaillent 14h par jour et gagnent assez bien leur vie pour avoir la sensation de travailler pour quelque chose. C'est l'Amérique tout de même, et tôt ou tard travailler fini par (bien) payer. Mais quand tu es immigré, tu te dois de commencer tout en bas et, si tu survis a ta première année misérable, alors il parait que les porte s'ouvrent sur les escaliers qui mènent a une vie descente, puis confortable, et peut être, qui sait : aisée.

Aujourd’hui toutefois, je suis tout en bas. Je suis le petit bout de charbon brûlé qui ramasse des paillettes inutiles dans une petite pièce oubliée du reste de la société. Mes études ne servent à rien et on se fiche pas mal de savoir d'où je viens. La seule chose rassurante est de savoir que je ne suis pas le seul petit bout de charbon, nous sommes tout plein de jeunes et de moins jeunes, plein de diplômes, de compétences diverses et d’énergie qui essayons de tirer notre épingle du jeu pour faire partie de ce pays.

Extrait du Voyage de Chihiro
Prise de conscience saisissante sur la signification réelle
de ce passage du chef-d'oeuvre des studios Gibli


Julie est journaliste, elle sort d’une grande école et a lancé deux journaux dans l’ouest français avant d’arriver ici et de se retrouver à vendre des fringues et des baguettes pendant un an et demi.

Mon ancien patron était un designer hypra populaire en Italie, il roulait sur l’or et dans des voitures de sport à travers Rome et Milan, ou il possédait deux appartements. En arrivant au Canada, il faisait la vaisselle dans un café avec un patron tyrannique (« comme toi », m’avait-il précisé une fois).

Greg est ingénieur dans les énergies renouvelables depuis cinq ans, mais avec la crise il est obligé de ramasser les miettes avec moi au resto, le temps de retrouver un emploi.

Alexis est étudiante, et lorsqu’elle n’est pas à l’université elle cumule deux petits boulots (l’un les soirs de semaines, l’autre le week-end). « C’est le prix à payer pour pouvoir vivre chez moi » m’expliquait-elle le plus naturellement du monde, alors que je poussais de hauts cris d’indignation.

La plupart de mes collègues sont mineures et consacrent déjà tous leurs temps libres au travail. Ça me laisse perplexes, moi française, qui écoute le matin sur France Inter les débats sur « l’obligation de repos dominical ».

Je leur explique que chez nous, les étudiants ont des bourses, des aides aux logements, qu’on a le droit au chômage, que du coup on n’est pas forcés de mener cette vie de fou. Mais eux n'ont pas l'air de considérer leur vie comme une vie insensée. « Honnêtement si je ne travaillais pas, je ne saurais pas quoi faire de mon temps libre » me disait l’autre jour Yukari, qui travaille 18 heures par jour le week-end.

Bref, on est en occident, mais je réalise que je n'ai pas besoin de partir au fin fond du delta du Mékong pour me sentir étrangère. Je regarde parfois ces gens qui me ressemblent mais qui n'ont vraiment rien à voir avec moi, en me demandant s'il est possible d'immigrer vraiment, d'embrasser une nouvelle culture définitivement. D'oublier d'ou l'on vient pour adopter un nouveau style de vie. 
Cette immersion au Canada est sans aucun doute l'expérience qui me fait le plus grandir, bien plus que mon tour d'Asie en solitaire, bien plus que les shots d'expériences temporairement dépaysantes que l'on s'autorise en voyageant quelques jours, quelques semaines ou quelques mois.

En revanche, je ne me plains pas. J'ai choisi d'être ici, alors je fais profile bas et j'absorbe ces tonnes de nouvelles choses pour me fondre dans le décor, pour en faire partie intégrante. La pire des galères est tout de même palpitante. C'est une galère en VO, c'est une galère au Canada, un truc qu'on ne vit qu'une fois.

Alors pour rester dans le ton, Noel cette année, je le célèbre au travail. La semaine prochaine on décor le sapin au resto. Dans 10 jours, on fait une soirée de Noel au journal. Le Père-Noel passe souvent nous voir au centre commercial. Et je travaillerai le soir du réveillon. 

On est en décembre, et je travaille a plein temps. Je ne suis pas si seule, finalement.

2 commentaires:

  1. Salut ,
    Je viens de lire ta "super " expérience de noël dernier . En faite je m'attendais à entendre un super avi sur vancouver histoire de me motiver a y aller ( je me tate entre VCV et santiago du chili ) et c étais loin de ça !
    Mais ca ma fait plaisir de lire quand même, (peut etre parce on a des expérience similaire , asie, ou melbourne j ai parfois eu le même sentiment )

    Bref je te remerci pour le partage , et du coup comment c est fini l'experience vancouver ? Tu me le conseil ?
    ( je peut avoir un job en tant que peintre a 20$ / h )
    Thanks, safe trip :) !

    RépondreSupprimer
  2. Salut Thibaut, bien sur que je te conseille Vancouver. C'est la plus belle ville du monde, et même si j'ai eu des moments difficiles comme dans n'importe quel vie de n'importe quel endroit du monde, cela reste l'année la plus belle, la plus riche et la plus enrichissante de ma vie ;) fonce ! Surtout pour 20$/h haha !

    RépondreSupprimer